« Un blanc, un noir. » C’est ce que Justine et moi avons dit de concert ce matin, en prenant le café au bord d’un bolong du Saloum, en observant, enchantés, les deux aigrettes (petits hérons) qui passaient devant nous. Comme pour tirer définitivement le voile de l’aube et laisser s’ouvrir la journée. Une noire et une blanche, qui se suivaient…
La visite des Furets Futés d’Eiffage
Un blanc, un noir… Étrange écho aux moments que l’on passe depuis 2 jours auprès des furets du groupe Eiffage, venus participer au premier marathon de Dakar, organisé par ledit groupe ; puis venus réaliser des œuvres humanitaires ici dans le Sine Saloum. Une joyeuse bande de 55 « toubabs » arrivés en car (forcément) dans ce petit village de Djilor, ne réservant pas des chambres mais des hôtels entiers, pour 2 jours alternant :
- ballade en pirogue (4 pirogues quand même !) et quartier libre sur une île paradisiaque du Saloum,
- don de cahier / stylos / jeux et autres cadeaux collectés par leurs soins en France pour les écoles locales,
- travaux auprès de ces mêmes écoles pour les soutenir dans la construction d’une clôture, la peinture de salles de classe, la pose d’un tableau électrique ou la fabrication d’un potager pour la cantine (semences fournies),
- inauguration d’un bâtiment, la voute nubienne, dédié à un G.I.E. de femmes du village pour leur permettre le stockage et la transformation de leurs productions.
La culture du doute
Bon, d’à priori, ce genre d’opération, mêlant habilement communication externe / interne de façon remarquablement efficace et débarquement massif de « Toubabs-cadeaux » dans les coins plus ou moins reculés d’Afrique, ne nous séduit pas des masses. Mais comme nous sommes doués de conscience et que la culture du doute nous habite, riches héritages parentaux, on se repose la question. Et puis on en profite pour observer.
Et bien la réponse est plus complexe qu’il ne nous y paraît d’abord. Les effets positifs de telles actions « massives » de solidarité « Nord-Sud » existent, bien sûr. Des cahiers et des crayons, c’est utile. Les travaux réalisés ? étudiés et décidés de concert avec l’école ; donc utiles aussi. La force de travail de 55 personnes pleines de bonne volonté ? une efficacité incontestable qui fait faire un bond de progrès à l’école (progrès au sens le plus simple -progresser, pas au sens progrès de l’humanité !). En l’occurrence, le groupe Eiffage, qui semble faire beaucoup en matière de RSE auprès des populations sénégalaises, est réputé bien le faire (ici en tout cas). Nous constatons aussi qu’au moins tout est fait de concert avec les besoins réels des populations, à l’inverse de beaucoup de projets de coopération internationale…
N’oublions pas non plus les bienfaits pour les Furets, qui voient leur désir de se rendre utiles auprès des plus démunis, satisfait. (Remarquez, pour ceux qui me connaissent, que je ne sors plus mes faciles et presque vulgaires rengaines sur le « besoin de souvenirs et de photos avec des petits pauvres pour s’en gargariser auprès de ses proches en rentrant et se donner bonne conscience« . Disons que je grandis ; ou plutôt que, peut-être moins aigri qu’à une époque, je mise sur la réelle bonne volonté des gens, leur sincérité et l’authenticité d’un certain désintéressement, plutôt que sur la cynique analyse des rapports nord-sud -les deux sont-ils incompatibles ?…).
Malheureusement, les effets négatifs existent aussi. Après un accueil organisé avec autant d’emphase et de cérémonie, avec autant de cadeaux, devant les tout-petits de l’école, comment éviter de les entendre le lendemain dans la rue nous dire « Toubab, cadeau ? »… (Ce à quoi nous aimons répondre « Eh Sérère -ethnie ici-, toi aussi tu as un cadeau pour nous ? »). On pense évidemment au sentiment de dépendance que ces actions peuvent nourrir.
Heureusement, Marthe, la formidable directrice d’école bénévole depuis 22 ans, précise dans son allocution d’accueil qu’ils ne sont pas des mendiants. Pendules remises à l’heure ? Bref, laissons-là ces interminables mais néanmoins intéressantes réflexions philosophiques, pour retenir que nous nous sentons bien incapables d’avoir un avis tranché sur la question. Ce qui est sûr, c’est que les Furets d’Eiffage sont des gens supers sympas, et leurs hôtes et autres interlocuteurs locaux, aussi ; que ces actions sont au demeurant de belles et intenses occasions et expériences de dialogue, de partage et de prise de conscience réciproque.
Senghor préférait à la « synthèse » le terme de « symbiose »…
Un blanc, un noir… Écho aussi à l’atmosphère générale ici au Sénégal. Pas seulement rapport à la couleur des gens, à l’accueil et à l’hospitalité qui nous sont réservés par les sénégalais que nous rencontrons, qui dénotent certainement d’autres atmosphères subsahariennes que nous avons eu l’occasion de côtoyer dans le passé. Rapport aussi et surtout à la façon dont ici catholiques et musulmans vivent côte à côte en paix, parfois partageant le même cimetière (comme ici à Djilor), souvent membres de la même famille (mariage mixtes, ou encore deux membres d’une même fratrie prenant des directions religieuses différentes).
Comme disait le président-poète Senghor : « 90% de la population est musulmane, 10% est catholique, 100% est animiste. »
Est-ce cette valeur commune forte qui favorise l’entente ? Est-ce cette valeur commune forte qui manque à certains peuples pour favoriser une entente par delà les religions ou origines culturelles ? En tout cas nous (« nous » en tant que peuple français -par exemple) avons quelques leçons à tirer du pays de la Teranga, sur ce point comme sur d’autres (sur lesquels nous aurons forcément l’occasion de disserter ici dans un futur proche).
La vie coule ici dans le Sine Saloum. Un jour après l’autre, chacun avec son lot de découvertes, de rencontres, de questions, d’éléments de réponse, de joie surtout. Un pied devant l’autre, comme à l’accoutumée, ici ou ailleurs. Nous embrassons chaque jour un peu plus (parfois un peu moins, mais rarement) cette philosophie de vie que nous avons choisie il y a maintenant 2 ans (ou 28 ? ou 35 ? ;-), emprunte de liberté, de rencontre de soi en même temps que de l’Autre, ouverts et réceptifs, au service de nous même autant que des autres. Un pied devant l’autre.
A mi-parcours de ce premier HopTrip à La Source Aux Lamantins, nous nous sentons plus qu’en vie, ravis de l’accueil et des tâches qui nous sont confiées. Ravis de la façon dont tout se déroule.
>> Si vous n’avez pas vu les vidéos réalisées jusqu’à présent, rendez-vous sur la chaîne YouTube, playlist HopTour WestAfrica.
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Bonjour,
Je voulais juste vous apporter un élément de plus, suite à votre article.
Aujourd’hui, pour la seconde année, et donc pour l’année scolaire 2017-2018, dans cette école de Yayeme, il y a une quinzaine de parrainage pour les enfants.
c’est justement Marthe qui détermine les familles qui ont le plus besoin d’aide.